UN TRES BON DEBUT : LE LIEU
 
Tout était là pour une teuf somptueuse, tout... Tout d'abord un lieu des plus 
superbes, post-industriel à souhait, une ancienne usine désaffectée,
  
elle-même 
entourée de semblables aux cheminées-monolithes totémiques...
  
...et de friches 
industrielles aux somptueuses couleurs ocres et beiges recelant de nombreux 
trésors.
  
Un frisson post-apocalyptique le parcourait de part en part. Tout 
autour, des milliers de chaussures usagées,
  
des cuvettes de WC en porcelaine 
éclatées, des bassines entassées, autant d'objets abandonnés, autant de 
bâtiments laissés en l'état, des vestiges aberrants de la stupidité humaine 
réinvestis, réenchantés comme au bon vieux temps par la caravane techno... Et 
puis, cerise sur le gâteau, en plus de l'Espagne, de ses températures clémentes 
et de son soleil du 1er janvier, la mer et la plage,
  
en plein dans la teuf, 
tout contre les entrailles ronflantes du bâtiment.
  
De l'extérieur, il n'était 
pas difficile de s'imaginer que les rugissements, les grincements et les 
battements sourds de la musique renvoyaient directement aux temps où des hommes 
travaillaient encore dans ce lieu, passerelle temporelle passagère ressuscitant 
ces temps oubliés. Qu'est-ce donc qui pousse l'être humain à abandonner ces 
lieux dans un pareil chaos et à pourrir la terre ailleurs, un peu plus loin ?  
La techno a toujours dénoncé cela implicitement, elle a toujours réinvesti ces 
lieux sacrifiés et oubliés, et l'on ne pouvait perdre l'aspect symbolique de la 
chose en cette aube de 3ème millénaire.
  
LES INSTALLATIONS
  
Et quand on parle de réenchanter les lieux, ces lieux qui sentent encore le 
labeur, la sueur de centaines de travailleurs, ces lieux qui possèdent déjà en 
eux un souffle de sacré, un poids historique, on pourrait se demander que leur 
ajouter. Ce fut pourtant spectaculaire à souhait, on peut le dire. Des tentures 
somptueuses, certes connues pour la plupart, mais installées de toute part, du 
haut en bas des impressionnantes murailles qui cernaient les dance-floors, des 
sculptures superbes au parfum post-industriel qui se fondaient pleinement dans 
l'ensemble,
  
un show impressionant de lights et de flammes, avec notamment 
l'embrasement synchronisé du mur de son central, le plus gros (Oxyd + Desert 
Storm + etc.) à partir de minuit heure h jour j.
  
Il faut aussi relever les 4 
bars des plus séduisants, l'un orné de cartes informatiques éclairées 
auxquelles nous ont habitués les Desert Storm et d'un dragon robotique crachant 
ses flammes par intermittence,
  
l'autre, au son Hekate etc. orné d'un ballon 
diffusant des vidéos et d'une ambiance tamisée rougeâtre, un troisième dans la 
salle Kamikaze etc. moins spectaculaire mais tout à fait séduisant, et le 
quatrième, à l'extérieur, le "café del squat", avec une vision saisissante de 
poupées décharnées et brûlées sur un son de house tout à fait peaceful et 
convaincant, du moins en début de soirée du 31 décembre, du moins (voir plus 
bas)...
  
Ajoutons à cela des vidéos partout, des messages antimondialisation, 
anti-fachos, anti-racistes, et des performances/altercations toute la soirée du 
31 : robots humanoïdes investissant les dance-floors, 
jongleurs/cracheurs/boncavacaonconnaît mais c'estpasmal aveclereste, jeune 
demoiselle en tenue fort légère fouettant le dragon qu'elle chevauche, style 
Conan-la-barbare... Très impressionnant tout ca. Les robots et le dragon, 
c'étaient les Abattoirs, Marseille, et voilà...
  
MAIS ALORS, QU'EST-CE QUI CLOCHE ?
  
...Et voilà que commencent pour moi les points négatifs. Il me serait fort peu 
crédible d'apprendre que ces sus-dits robots et dragons se soient déplacés pour 
gratos... De là, il est à penser que beaucoup de choses dans la teuf doivent 
avoir été payées, et payées chères... Je n'ai pas de preuves à ce que j'avance, 
simplement des bruits captés à droite à gauche et des impressions. Et de là 
découle une question : si l'on engage des intervenants extérieurs de la sorte, 
et qu'on les paye, n'est-il pas possible de faire mieux dans ce cas ? D'une 
part, je ne fréquente pas les free pour assister à des spectacles de 
professionnels, bien au contraire, mais bien plus à des actes basés sur le 
bénévolat, le don de soi, le don aux autres, le partage. D'autre part, quand 
bien même le ferais-je, puisque c'est finalement ce à quoi on assiste, un 
spectacle de plus en plus pro (personne ne me contredira), j'aurais dans ce cas 
le droit de revendiquer plus et mieux. Pourquoi ? Parce que voilà, finalement, 
cette grosse et belle fête n'est finalement qu'une énorme pompe à fric dans 
laquelle chacun tire son épingle. Et si le fric se brasse à ce point, on est en 
droit d'en attendre du plus beau, du plus somptueux. Jamais content ? Pas si 
sûr, le seul truc qui me gêne vraiment, c'est que les avancées artistiques et 
esthétiques du mouvement vont malheureusement de pair avec un effondrement des 
idées utopiques qui l'animaient, on se pervertit en allant vers le 
professionnalisme dans le mauvais sens du terme (pour connaître en détail mon 
aversion pour tout ca, on se réfèrera à mon idée 6 sur le sujet). C'est sûr qu'il y a encore pas mal d'énergie positive là-dessous, 
que mes propos sont un peu trop radicaux, certes, mais avant d'atteindre cette 
couche positive, il faut aussi en gratter une autre, une grosse, une énorme 
couche... celle de la drogue...
  
KETA, KETA, KETA PAS CHERE
  
Ce type de fête est devenu celui de la drogue et de la consommation aveugle à 
tout va. Consommer des produits de manière récréative, faire la fête, rire, 
découvrir, s'initier, tout cela, OK, pas de problème, c'est même ce qui a donné 
parfois un certain piment à ces fêtes... Mais à ce niveau-là, c'était 
incroyablement démesuré. Ce n'est pas la première fois vous me direz, certes, 
loin de là... Mais c'est incroyable, le récréatif a disparu pour le règne de la 
TOXICOMANIE, la vraie... Consommer à ce point, à toute heure, c'est ça, refaire 
le monde, c'est ca, la contestation, c'est ça, l'utopie, c'est ça, notre beau 
mouvement ? J'ai vu des jerricans de kétamine se verser dans des poêles pour 
remplir les narines de dizaines d'Italiens affamés la paille au nez. J'ai vu 
ces mêmes italiens se fumer un peu d'héro sur papier aluminium, pourquoi pas, 
pour bien commencer la journée, après quoi on se buvait un bon pastis pour 
faire passer le tout avec quelques pétards... Ce n'est qu'un maigre exemple, je 
n'ai aucun a priori contre les Italiens. De nombreux lives anglais se faisaient 
et plutôt se défaisaient sous l'emprise de la kéta, avec tous les ratages 
imaginables.
  
Des gens s'écroulaient sur les dance-floors, Francais, Italiens, 
Anglais... Les Francais, quand même, niveau sale ambiance, sont les plus forts. 
Pour cette fois, pas d'embrouilles, pas de racailles, une fête paisible, au 
moins ca, et c'est appréciable, l'avantage des teufs à l'étranger. Et pourtant, 
des exceptions... Par exemple des cons de Francais qui vont jusqu'à se battre 
pour un rétroviseur arraché... Les Francais n'ont aucun second degré. Ils se 
prennent la tête, ils se croient les plus forts. Ils grattent avec une 
arrogance incroyable en se prenant pour des petits travellers en herbe. Pour le 
Francais, traveller = kaki = cool = gratteur. Simple ! Sors une clope, laisse-
toi faire, et en 20 secondes, tu as ton paquet vidé par 80 % de Francais, 15 % 
d'Italiens et 5 % d'autres nationalités. C'est un superbe melting-pot utopique 
de joie, de paix et d'harmonie. Ne donne pas, et tu passeras pour un super con 
enfoiré. La joie ! Tout se gratte et à tout moment. Les Francais sont les plus 
kakis de tous, histoire de faire aussi les plus travellers de tous, c'est 
cool... Niveau look, soulignons quand même le plaisir de ces Anglais déguisés, 
colorés, perruqués.
  
On a vu aussi pas mal de réminiscences gothiques/punk, 
peaux blanches et lèvres noires.
  
On a vu aussi avec plaisir des Italiens aux 
gilets de play-boy et aux chemises blanches, la classe... De superbes looks ! 
L'ambiance n'a jamais été antipathique, certes, mais jamais non plus des plus 
sympathiques... Les torrents de drogues ne peuvent pas y aider, on s'en doute. 
Mais la musique ?
  
LA FÊTE SE MEURT
  
Et bien malheureusement, si les sons pétaient vraiment de facon terrible, la 
musique ne leur a pas toujours fait honneur. Outre ces épisodes où tout foirait 
pour cause de sniff trop prolongé du zikos (authentique), la soirée du dimanche 
n'a pas été des plus convaincantes dans la grande salle. D'autre part, dès 
notre arrivée (fin de journée du 31) le son Kamikaze etc. ne donnait qu'une 
grosse bouillie sans relief. Il n'ira jamais mieux et s'arrêtera même définitivement. Le petit son house, très bien en 
début de soirée du 31, va se perdre totalement : au milieu de la nuit, un 
toaster s'y agite avec un DJ, mais la voix est diffusée sur la facade et la 
musique sur le retour tout au fond, un son minable. Au matin, c'est hardcore là-
bas, exit les promesses de house ! Après, ce sera parfois dub, et puis le plus 
souvent que dalle, stop. Un autre son s'est installé, pile en face de ma 
voiture, dans la nuit du 1er, sortant de camions italiens, Khaos des Sound 
Conspiracy m'a-t-on dit.
  
C'était très bien, mais il s'est arrêté au petit matin 
pour ne plus reprendre. Il est resté monté tel quel, pourtant... Même pas le 
courage de ranger ? Voilà ce qui est gênant : la fête débute du mieux qu'elle 
peut, elle est éclatante, séduisante, et puis elle se meurt peu à peu, on la 
laisse sombrer, et apparemment franchement sombrer dans la drogue, on laisse 
mourir les sons peu à peu, on ne relève pas ce qui s'effondre. J'ai dormi toute 
la nuit du lundi, ce fut peut-être beau, plus que la veille ? Franchement, j'en 
doute... Musicalement, on a dit que c'était l'heure des Anglais (beaucoup 
d'Espagnols avaient joué la veille sur le gros son). Le mardi en début d'après-midi, avant que je parte, Simon attaque son live. Visiblement, il est fatigué, 
et le résultat n'est pas des plus terribles.
  
Est-ce pour cela qu'on fout le son 
à toute berzingue ? Parce que c'est LE Simon, star incontestée devant 
l'éternel ? Mes oreilles sont fracassées, je sors, je n'en peux plus, je vais 
partir. Ya du chéper qui s'accroche, perdant un peu plus de bandes auditives en 
même temps que quelques neurones de plus... Quand on annonce plusieurs jours de 
fête, il faut savoir l'alimenter et ne pas laisser les gens ne s'alimenter que 
de produits... Cette fête était vraiment superbe à première vue, vraiment.
  
UN BILAN
  
Ben mon bilan, c'est que la magie qui m'a emporté au début de la fête fut de 
courte durée, et qu'il a fallu chercher longtemps les énergies qui m'ont fait y 
rester, quelques reliquats de points positifs associés à des souvenirs de 
nombreuses années de teufs. En revanche, les énergies de la plupart des 
participants à l'événement (mais peut-on parler d'acteurs ?) pour y rester ne 
sont que trop simples à trouver : la drogue, la drogue, la drogue et encore la 
drogue... Alors que la fête partait en bribes et n'était en rien entretenue, 
hormis au niveau musical, c'était la drogue qui parlait et envahissait les 
lieux de façon de plus en plus marquante. Gardons un espoir, si tant d'énergies 
se sont assemblées pour cet événement, si tant d'efforts ont été déployés, si 
tant de moyens ont été pensés et réunis (mettons de côté le fric que ca a dû 
brasser), c'est qu'il y a forcément autre chose derrière ce gros tas de drogués 
que cela engendre, forcément...
  
Ce fut honnêtement une des plus belles fêtes que j'aie pu observer en 6-7 ans 
de parcours dans ce mouvement, mais ce fut aussi une des plus décevantes, et 
peut-être aussi une des dernières, ou la dernière avant longtemps...
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