Aux auteurs de Drogue et techno :
les véritables « trafiquants de rave »
L'ouvrage Drogue et techno : Les trafiquants de rave est sorti tout récemment (janvier 2000). Ses auteurs, Thierry Colombié, Nacer Lalam et Michel Schiray, sont économistes de formation, et c'est selon eux l'orientation qu'ils ont voulu donner à leur livre qui a le grand mérite de présenter, il est vrai, de nombreux aspects inexplorés des marchés de la drogue. Toutefois, on peut adresser à ces auteurs de nombreuses critiques vis-à-vis du manque de précaution dont ils ont fait preuve en sortant ce livre. Nous tenons à préciser tout de suite que nous ne remettons pas tout l'ouvrage en question, et que de nombreux points qu'il expose sont tout à fait intéressants, étudiés et présentés pour la première fois, mais de nombreux autres sont à reprocher à ses auteurs. C'est ce que nous nous proposons de faire ici, en tant qu'universitaire, comme ces derniers.
Le problème majeur de l'ouvrage est d'ordre éthique. Comment peut-on, étant justement universitaire, exposer autant de faits inexacts, prendre aussi peu de précautions dans la présentation des arguments, à commencer notamment par choisir un titre aussi racoleur ?
Contrairement aux journalistes, l'universitaire doit pouvoir nuancer ses propos, les contrebalancer par des contre-exemples etc. C'est cette faculté et cette volonté qui l'éloignent du sensationnalisme caractéristique de nombreux médias. L'universitaire fait attention à ce qu'il présente, et à la facon dont il le présente. Son discours, qui tend à revêtir valeur de vérité, est en théorie plus valide qu'aucun autre, loin de la langue de bois du politique et des partis pris racoleurs des médias. En cela, l'universitaire se targue d'objectivisme. Les auteurs de cet ouvrage ne semblent pas déroger à la tradition, présentant par exemple clairement dans l'introduction ce que, dans notre jargon, nous appelons « méthodologie »- à savoir la méthode qu'ils utilisent pour obtenir leurs résultats -, annoncant clairement leur plan, présentant leurs entretiens, les analysant dans un second temps etc. Tous les ingrédients d'un bon travail digne de toute bonne université francaise.
Et pourtant ! Dès le titre de l'ouvrage, nous nous trouvons face à un flagrant délit (et c'est peu dire) de sensationnalisme. Nacer Lalam affirmait clairement, il y a peu, lors d'une émission sur radio FG (20 février 2000), que ce titre avait été choisi en collaboration avec l'éditeur. Aucun doute n'est possible, sur ce point, même si l'on pouvait penser, connaissant ce monde auquel nous appartenons aussi, que l'universitaire se voit souvent acculé par des éditeurs et/ou journalistes l'obligeant à faire des concessions, à perdre un peu de cette objectivité qu'il revendique. Non, ici, c'est volontaire, et ils le disent ! Un titre comme celui-ci, sorti chez une grosse maison d'édition comme Stock, couverture papier glacé et photos troubles appuyant le côté volontairement « mystérieux » et « alléchant », c'est la porte ouverte à toutes les calomnies sur le mouvement techno, à toutes les fausses idées, à tout le rejet que la plupart de ses lecteurs ne manqueront pas de manifester. Ceux qui ne connaissent pas ce mouvement et qui voient ce titre ne peuvent que trouver confirmation de ce que des centaines de journalistes en mal d'émotion forte mais surtout de lectorat ou d'auditeurs pointent depuis des années. Ceux qui le rejettent déjà ne changeront non seulement pas de point de vue, mais trouveront encore de nouvelles idées (ou des idées, tout simplement, car certains en manquent) pour le condamner à tout va. De l'universalité objectivante d'un discours de chercheurs francais, nous en sommes arrivés, avec seulement 5 secondes d'attention portée sur une couverture, à la bassesse m'as-tu-vu d'un « Combien ca coûte » sur TF1 ou d'un « Paris Match ». On n'a pas le droit d'agir ainsi quand on est universitaire. Il faut savoir que l'enquête qui a servi de base à la rédaction de cet ouvrage provient d'une mission de l'O.F.D.T. (Observatoire Francais des Drogues et des Toxicomanies), réalisée par ces mêmes auteurs (payés avec vos impôts, soit dit en passant). Il est fréquent qu'un rapport de mission soit ensuite publié pour qu'un plus grand nombre en prenne connaissance. Mais il est beaucoup plus rare et déplorable que les auteurs choisissent le tape-à-l'oeil de cette manière. C'est l'art et la manière de gagner deux fois de l'argent sur une même enquête. Oui, il est vrai qu'en tant qu'économistes, les auteurs se doivent de connaître certaines lois du marché, dont la très dominante loi du profit...
Mais entrons plus avant au coeur de l'ouvrage, toujours sur ce même problème d'éthique. On l'a compris, les auteurs s'attaquent au problème de la drogue, et de la drogue autour du (des) phénomène(s) techno (free parties, teknivals, clubs, raves payantes clandestines, raves légales, tout le monde y passe). Ils le disent à chaque occasion, dans toutes les émissions auxquelles ils ne manquent pas de participer - opération promotionnelle que l'on peut leur passer : il est rare pour l'universitaire de s'exprimer devant les médias, et la parution d'un ouvrage est un bon moment pour cela - : ils n'ont rien contre le mouvement techno, contre les pratiques, contre la musique. C'est du problème de la drogue qu'ils ont traité, et de rien d'autre, affirment-ils. Oui, encore ce mythe de l'objectivité ! Non, Messieurs, encore une fois, vous ne vous en sortirez pas par ces pirouettes médiatiques que vous exécutez actuellement. Je vous cite : « [...] on ne percoit que le bruit assourdissant du binaire techno. Le boum-boum nous accompagne dans la salle [...] » (p. 27). Ils en sont donc encore là ? Mais rassurez-vous, ils ont compris quand même comment ca marchait : « [...] le DJ "platine" laisse sa place à un DJ "machine" qui démarre son "live". Un live est l'expression en direct des compositions musicales créées par l'artiste. Sur la base de ces créations, travaillées auparavant sur les machines, le DJ a la possibilité d'improviser de nouvelles mélodies et de créer ainsi un morceau musical qui a la particularité d'être éphémère [...]. La part d'improvisation se réalise à partir de la possibilité illimitée de la manipulation des machines, qui obéissent elles-mêmes à une logique musicale. C'est l'une des différences majeures comparée à la performance d'un DJ platine. Le rôle de ce dernier est en effet de mixer les variations musicales de deux disques vinyle, même s'il peut se servir de boîte à rythmes pour explorer sa propre part d'improvisation (fait relativement rare). » (pp. 27-28) Merci, Messieurs, on a donc tout compris ! Alors même que la S.A.C.E.M., cette institution monolithique et conservatrice à l'extrême, reconnaît depuis plusieurs années que le DJ est un créateur, qu'il peut déposer ses mixes au titre d'oeuvres, vous-même ne reconnaissez rien de tout cela, et faites un bon pas en arrière, 20 ans plus tôt. A propos, c'est gentil de reconnaître aux lives techno une « logique musicale », à laquelle les machines obéissent, mais vous vous gardez bien de préciser d'où cette logique provient (des machines, des musiciens ?).
De toute manière, une logique, vous en avez trouvé une autre : la musique techno, selon vous, se cale impeccablement sur les effets des produits psychotropes que l'on ne manque pas de consommer à son écoute. J'ai donc appris avec grand intérêt, dans cette partie merveilleusement intitulée « la temporalité de la rupture » (quelle prouesse littéraire, pour des économistes !) que les soirées techno débutaient à 250 BPM pour accompagner la montée des produits, puis passaient à 300 BPM pour accompagner un plateau dans l'effet de 3 à 4 heures, puis repassaient à 200 BPM pour aider à la descente. Selon vous, « par analogie, la consommation est quasiment calée sur les battements par minute de la musique techno jouée dans la soirée. » « Idée de répétition... », vous hasardez-vous à subodorer... Sachez, Messieurs les auteurs, que le doctorant en musicologie que je suis a alors sursauté sur son siège et cédé à la tentation d'écrire en énorme « N'IMPORTE QUOI ! » sur ces pages 58 et 59 en question. Je me risque rarement sur des terrains que je connais peu, je ne vous reprocherais aucune analyse économique, j'ose (encore) vous faire confiance sur ces points, mais là, Messieurs les auteurs, ces pages tiennent littéralement du torchon. Vous vous êtes risqués à vous lancer dans une analyse musicologique dont je suis persuadé à sa lecture que vous ne connaissez strictement rien. Quelle théorie séduisante ! Sauf que, mis à part dans de rares soirées hardcore (et encore), jamais personne n'a pu relever une telle évolution des BPM, ni une telle « analogie » drogue/musique. Sauf que le 300 BPM, de toute manière, c'est rare, voire très rare. Sauf aussi que depuis fort longtemps, les BPM ne revêtent plus la même importance qu'au début du mouvement, y compris au niveau des différents styles de techno... Messieurs les auteurs, mêlez-vous de ce qui vous regarde, et de ce que vous savez faire. Ne revendiquez plus l'objectivité, alors que vous jetez des généralités de la sorte, comme le fait que dans une soirée, « l'association la plus fréquente implique trois produits, dans l'ordre chronologique suivant : ecstasy, LSD, cannabis » (p. 50). Tout est si structuré ! On sait donc maintenant, grâce à vous, ce que l'on prend en soirée techno, dans quel ordre, et comment la musique nous accompagne dans ce voyage. D'ailleurs, en voici le mode d'emploi (p. 47), sous un titre tout aussi littéraire, qui maintient admirablement un zeste de suspense « Minuit : la soirée commence » (tatata !) : « Le raver-usager "gobe" une pilule d'ecstasy, s'il ne l'a pas avalée quelques minutes avant de rejoindre la soirée. Les premiers effets apparaissent entre une demi-heure et une heure après l'ingestion. Déjà le raver entame une danse en étroite symbiose avec une musique rythmée à 250 BPM. » J'interromps ce récit passionnant de la soirée-type pour signaler que, oui, c'est vrai, comme les danseurs de tango, de valse ou de cha-cha-cha, le raver danse au même rythme que la musique, en « symbiose » si l'on veut... « Une heure après, l'ecstasy (exemple d'une pilule MDMA dosée à 50 mg) produit tous ses effets, qui vont durer entre trois et quatre heures. Au cours de cette période, le rythme musical augmentera progressivement au cours de la soirée pour atteindre 300 BPM. En fin de soirée, les effets de l'ecstasy s'amenuisent fortement et la musique évolue vers un rythme moins soutenu. Souvent le raver consomme alors du cannabis pour limiter les mauvais effets de la descente, ou du LSD pour "rebondir" encore une à deux heures. A côté des produits psychotropes, le raver dispose d'un attirail composé d'une bouteille d'eau (pour étancher la soif consécutive à la performance-danse), de boissons "énergisantes", de barres énergétiques, ou de sucettes (pour éviter le grincement des dents - ou bruxisme - consécutif à la composition chimique de certaines pilules). Les associations de produits psychotropes et la gestion des effets sont propres à chaque raver ; il est donc difficile de retracer l'ensemble des combinaisons possibles. » Alors, Messieurs, dans ce cas, ne vous risquez pas à le faire quelques pages plus loin... « Cette association multiforme aux produits est censée assurer une énergie constante afin de suivre la cadence accélérée des BPM tout au long d'une nuit, voire pendant plusieurs nuits d'affilée. » Mais alors, le Guronzan ne suffirait-il pas ?
Voilà pourquoi je parle d'un problème d'éthique : la présentation qui est faite par ces auteurs ne respecte aucun des impératifs universitaires dont je parlais plus haut. Aucun propos n'est véritablement nuancé, de grossières erreurs se juxtaposent à leurs affirmations gratuites, ce qui fait qu'il ne vaut mieux pas que ma mère le lise, ni la vôtre, peut-être? Et dire que je lui explique depuis 6 ans que la techno, ce n'est pas ce qu'en disent les médias, et qu'il faut se pencher aussi sur les propos des universitaires !
Nos auteurs récupèrent aussi la très médiatique équation « rave = ecstasy » à leur compte, mais ils font encore plus fort, puisqu'ils affirment que « quel que soit le type de soirée, pratiquement tous les produits psychotropes licites et illicites définis au sein de nos questionnaires ont été identifiés » (p. 29, à savoir, LSD, amphétamines, héroïne, cocaïne, cannabis). Ils sont, certes, loin d'avoir tort, mais encore une fois, toutes ces notions sont jetées en pâture aux lecteurs sans aucune mise en garde, sans aucun préavis. Si les concepts que les auteurs soulignent sont très justement examinés et pour la première fois de cette manière, « filière transfrontalière directe », « grand banditisme », « milieux locaux », « grossistes », « demi-grossistes » etc. vont malheureusement s'associer de manière indélébile dans l'esprit des lecteurs non initiés au monde de la techno. Et comme aucune alternative dans la présentation de ce mouvement n'est offerte dans l'ouvrage, ce seront les seules associations possibles à l'issue de sa lecture.... Du pur terrorisme intellectuel !
Il y aurait encore beaucoup à dire de la réduction systématique de toute description sur les pratiques culturelles du mouvement techno autres que celles qui concernent la drogue. Nous avons déjà vu que même la musique, principale activité qui réunit les protagonistes techno, était passée au rang d'artifice psychotropique (n'hésitons pas à user de ces néologismes que ces auteurs emploient à tout va, parlant notamment de « technozones psychotropiques », cela sonne si bien). Mais les activités des travellers (ou « technomades », comme ils les nomment, c'est tellement séduisant !) sont elles-mêmes réduites au titre de « techno-anarchie » (p. 15). Ca tombe bien, le mot porte en plus un sens largement négatif dans l'opinion publique, pourquoi en choisir un autre ? L'autre versant n'est pas gâté non plus, puisqu'il est qualifié de « techno-entreprise ». Mais et l'art, dans tout ca ? Ce n'était certes pas la tasse de thé de nos auteurs. Encore une fois, cela ne les excuse en rien : l'objectivité ne s'obtient que par la présentation de TOUS les critères définissant une pratique, et pas par ces expositions de détails sordides mis artificiellement en exergue dans cet ouvrage. Je n'ai par exemple jamais observé de vente de tabac ou d'alcool de « contrebande » importés de la principauté d'Andorre lors de rave. Pourtant les auteurs soulèvent trois fois ce point, qu'ils ont du observer de facon anecdotique. Autre exemple, il est vrai qu'il arrive que, sur un teknival (fréquenté par plusieurs milliers de personnes, rappelons-le) un chien se retrouve drogué par l'ingestion du vomis d'une personne qui n'a pas supporté la drogue qu'il a ingérée. Est-ce vraiment si courant pour le relater dans ce livre ? On ne présente pas des faits ainsi dans un ouvrage scientifique, c'est un travail bon pour les mauvais journalistes ou pour les hommes politiques qui font campagne, pas pour des universitaires. Et lorsque vous choisissez, Messieurs les auteurs, de présenter des entretiens de ravers, d'un DJ et d'un traveller en annexe, certes, vous respectez leur anonymat, mais vous trahissez à coup sûr la crédibilité qu'ils vous ont accordée en publiant leurs propos dans un tel ouvrage. Les pratiques du terrain ont changé, Messieurs, en ce début de XXIème siècle et depuis plus d'une trentaine d'années. Sachez que le temps de l'ethnologie colonialiste est passé, et que les « enquêtés » ont aujourd'hui un regard sur les écrits des enquêteurs, que l'on ne peut plus raconter n'importe quoi n'importe comment en utilisant leurs propos une fois revenu sur son continent. Vous avez enquêté, Messieurs, sur votre propre terrain, mettant le pied en plein dans cette problématique actuelle, mais usant de ces vieilles méthodes du passé. L'éthique est encore en jeu, car je doute que tous vos interlocuteurs aient vraiment eu une idée de ce que vous alliez faire de leurs propos. Merci pour eux de ne les mettre qu'en annexe, par ailleurs, bien détachés de votre propre texte, pour les isoler plus encore que vous ne le faîtes par cet ouvrage. J'espère que l'on vous laissera le moins possible dire que vous n'avez rien contre le mouvement comme vous vous évertuez à le faire, car tout semble prouver le contraire.
J'en arrive à un point important : malgré une préface alléchante de Nicole Maestracci, présidente de la MILDT, et une quatrième de couverture non moins aguicheuse, qui affirment que votre livre « éclaire les motivations à consommer : amélioration des performances physiques, appartenance au groupe, recherche de "transe" et d'évasion » pour l'un ; et qu'il va répondre à la question de savoir ce « que vont expérimenter [les plusieurs dizaines de milliers d'individus qui se rendent en rave chaque week-end] », à aucun moment on ne trouve de réponse dans ce livre. La quatrième de couverture est l'argumentaire de vente d'un ouvrage, la préface (et le prestige de la personne qui l'écrit) en sont un autre. Messieurs les auteurs, pardonnez-moi, mais la publicité est ici mensongère. Vous avez le droit de crier sur tous les toits que les journalistes font ce qu'ils veulent de votre ouvrage sans que vous en soyez incriminés (bien que, nous l'avons vu, vous les avez beaucoup aidés par vos propos et surtout par la rhétorique que vous avez déployée), mais ici, la faute est bien de vous. Vous avouez très franchement pourtant, il faut vous l'accorder, votre incapacité dans ce domaine, ou votre manque de volonté : « Les psychotropes consommés sont censés produire ou favoriser la rupture avec la quotidienneté. Nous ne nous étendrons pas sur les raisons qui motivent cette rupture. » (p. 58) Merci encore de nous éclairer, merci vraiment d'apporter cette pierre majestueuse à l'édifice de la connaissance. Il est bien beau d'estimer des consommations de pilules d'ecstasy et d'amphétamines (entre 48000 et 96000 pour un teknival, entre 60000 et 120000 dans une free party etc. p. 261) si le lecteur ne sait rien des motivations qui poussent à cette consommation. Non, vous préférez entretenir un rapport négatif, un a priori monstrueux que l'ignorance dans laquelle vous vous plaisez à maintenir le lecteur va instaurer vis-à-vis des raves.
Un point amusant de votre ouvrage est qu'il démonte toutes les politiques de répressions mises en place notamment par les gens qui vous ont engagés. Il est dommage que ces critiques que vous formulez ne soient pas toutes regroupées en une même partie avec un titre révélateur, mais il est vrai que vous ne pouviez certainement pas vous mouiller à ce point. Vous préférez garder les titres alléchants pour les parties où vous exposez des détails intéressants sur les types de consommations et sur les trafics, ou pour votre ouvrage en général. Mais merci à vous pour le mouvement de rappeler que c'est par le conservatisme réactionnaire thatcherien que la rave s'est exportée rapidement (pp. 12-13), que c'est sous « la pression des autorités et de grandes maisons de disques » qu'il s'est scindé en deux (p. 15), radicalisé pour une part et inséré pour l'autre, que durant l'été 95, « la mise en place d'une répression systématique des soirées de musique techno a eu pour principal effet de motiver les organisateurs à concevoir un nombre croissant de soirées clandestines en adoptant une attitude de "résistance" » (p. 16). A ce sujet, vous parlez d'un « effet pervers », prouvant là encore la mise à rude épreuve de votre objectivité. Ne me prétendant pas objectif, je parlerais plutôt de juste retour de bâton, sauf que des matraques, les ravers n'en ont pas, eux.... A la p. 21, vous expliquez comment les procédures d'interdiction administrative de 94 à 96 incitaient les organisateurs qui voulaient jouer le jeu de la demande préfectorale à prévoir un autre lieu clandestin pour s'y rabattre « dans le but de recouvrir les frais liés à l'organisation ». Oui, rappelons aussi que ces procédures ont mis beaucoup de gens sur la paille, dans un pays qui se targue de mettre la lutte contre le chômage dans ses priorités principales. Vous évaluez très justement les raisons qui ont fait changer de voie les autorités : « la touche artistique », mais pas n'importe laquelle ! Celle des stars de la « french touch », les DJs francais devenus « des stars à l'étranger, bien souvent avant d'être reconnus en France » (et pourquoi ? Parce qu'on ne leur en donnait certainement pas les moyens !) ; « l'aspect commercial », et oui, à l'heure actuelle, art et valeur artistique semblent devoir forcément rimer avec valeur commerciale ; et la volonté des organisateurs de vouloir lutter efficacement contre les pratiques illicites que vous dénoncez dans votre livre. Encore une fois, vous ne parlez pas de tous les organisateurs, mais d'une partie visible de l'iceberg techno, de celle qui entretient un rapport privilégié avec cette valeur partagée par les autorités qu'est l'argent... De toute manière, ces mêmes organisateurs en ont pris pour leur grade à la fin de votre ouvrage, puisque statistiques aidant, observations à l'appui, cachés derrière vos outils d'universitaires, vous les liez aux « milieux locaux », à la Maffia, à la « grande criminalité », bien plus encore que vous ne vous acharnez sur les free parties. A ce propos, quand vous dites que les free parties et les teknivals refusent la TVA par leurs pratiques, je tiens à ajouter qu'ils rejoignent là l'opinion de la majorité des Francais, pour lesquels les sondages prouvent qu'il s'agit de l'impôt le plus injuste. Sur ce point, ils ne sont donc pas si « marginaux » que vous l'affirmez.
Encore une fois, toutes ces généralités permises par l'utilisation d'outils statistiques s'avèrent être de très tranchantes armes contre le mouvement. Quoi que vous en disiez, votre livre peut être pris à juste titre comme une insulte par un nombre considérable de personnes. Nos raves qui sont, à vos yeux d'économistes, des « micromarchés de la drogue », des « technozones psychotropiques » (cette tournure m'amuse beaucoup, c'est pourquoi je la répète), méritent bien plus que ces qualificatifs réducteurs dans lesquelles vous les cloisonnez. Le problème de la consommation y existe, certes, et vous affirmez aussi (pas très clairement quand même, moins en tout cas que dans vos interventions radiophoniques a posteriori) que ce problème dépasse de loin ce type de soirée, mais vous n'expliquez jamais le pourquoi de la chose, vous contentant de sabrer à grands coups de néologismes assassins ce mouvement dans lequel j'ai la faiblesse de me retrouver, faiblesse que vous ne partagez pas, merci pour la clarté de ce fait. J'aimerais que vous sachiez dépasser cette objectivité délirante que vous revendiquez. Jürgen Habermas écrivait, en 1965 dans « Connaissance et intérêt », que pour rompre avec l'objectivisme, il fallait pouvoir mettre en évidence ce qu'il recèle, à savoir la solidarité entre connaissance et intérêt. Merci pour la lecon, Messieurs les auteurs, vous nous avez démontré les deux intérêts majeurs qui vous ont guidés dans cette recherche : l'O.F.D.T., qui vous a commandé la mission, et tous les ministères qui se cachent dessous, dont celui de l'intérieur, rappelons-le, qui a toujours adoré les raves parties ; et l'argent, qu'on n'a pas dû manquer de vous verser à la fin de cette mission et que les éditions Stock vous verseront de même. On ne saurait se targuer d'objectivité quand ce sont des intérêts tels que ceux-là qui dirigent votre recherche. A mon sens, le contrat n'est pas rempli avec Nicole Maestracci, qui affirme dès le début de la préface, qu'il faut « traiter la vérité telle qu'elle est, et non telle qu'on voudrait qu'elle soit ». Vous nous avez démontré, Messieurs les auteurs, que VOUS étiez les véritables « trafiquants de rave ».
Guillaume KOSMICKI
Chargé de cours, Université de Provence, Aix-Marseille I
3° année de doctorat de 3° cycle de « Lettres et arts » option musique
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