Putain ! Pourquoi n'avais-je pas mon appareil photo sur moi, juste ce
jour-là ? Et que dois-je retenir et retranscrire de cette fête ? Les
aspects positifs, un rapport sur son début... Oui ! Gardons au moins ça
pour contrebalancer l'incompréhension, le dégoût et la haine de tous les
ravers qui y ont participé à l'égard des forces de l'ordre, des prefets et
autre ministère de l'intérieur, et j'en passe, et des pires !
LE PETIT PEU DE "VRAI" TEUF
Commencant très tard (3h20 du matin), malgré l'arrivée massive de people
depuis plus d'une heure, sur un son mal réglé pendant une demi-heure, mais
qui a repris du poil de la bête pour étendre ses fréquences et sa portée
dans le hangar, les DJs ont mixé délibérément breakbeat et breakcore après
un très court passage down tempo, faisant fi de nombreuses protestations
émanant du dance-floor. Toutefois, cette position était intelligemment
tenue. En effet, le public pouvait se délecter parfois sur un court passage
de kikdrum régulier, qui remplissait le hangar de cris de joie, mais qui
était toujours relancé en breakbeat. Ainsi, une tension positive, une
attente joyeuse était maintenue. Je trouve ca bien, il est bon aussi qu'un
sound-system sache exprimer son envie, au moment où il la ressent, sans
céder à quelques clameurs réprobatrices. Pendant ce temps, on savait que
des flics bouchaient toutes les issues, les teufeurs arrivaient à pied. Une
surprise pour l'habitué des teufs du sud que je suis : ici, les gens se
bousculent beaucoup moins, plus de respect d'autrui, prenons-en de la
graîne ! Pour revenir à la musique, je ne doute pas que la hard techno si
attendue serait finalement arrivée à ceux qui auraient su l'attendre si...
JEU DE MASSACRE A LA TEUF
...Si soudainement, vers 8h00 du cauchemar, des grenades lacrymogène
n'avaient pas explosé dans le hangar, précédant une charge de cavalerie de
C.R.S., toutes matraques sorties, poussant stupidement (et consciemment,
n'en doutons pas !) le public, cédant évidemment à la panique, vers le son,
seul endroit du hangar où l'on ne trouvait pas de sortie plus grande qu'une
petite fenêtre ! Arrêt presque instantanné de la musique, écroulades,
piétinements, cris de panique, et réflexe de survie : on arrache les tôles
du mur extérieur et on sort tant bien que mal. Je n'ai eu que très peu de
temps pour me retourner, mais je vois que les forces de la violence ont
massacré la porte arrière du camion de Techno Plus et jeté une grenade à
l'intérieur... Dehors, on se remet à courir. Mais très vite, un groupe
important de teufeurs se réunit, couvrant puis freinant la fuite des
autres. Alors que la brume matinale commence à se fondre avec les nappes
successives de gaz lacrymo, le paysage sonore se voit recouvert de
centaines de "Enculés, enculééés !" à l'adresse des pantins ridicules
manipulés et configurés à jouer à la guéguerre, leur passe-temps favori. Le
temps, certains le passent, alors que d'autres tentent de le vivre..
BATAILLE RANGEE
Puis ces malheureux (mais fiers de l'être) suppôts de l'état répressif
(sans majuscule, n'en déplaise à l'académie francaise) se retrouvent
bombardés de pierres volant de toutes parts, pierres mises à disposition
par un autre service public (concurrent ?) : la S.N.C.F. et son chemin de
fer voisin. Plusieurs charges sont repoussées, qui pourtant se préparaient
à grand renfort de lancers de grenades, mais aussi de tirs, et pis encore,
de TIRS TENDUS de ces mêmes engins dissipateurs de trouble et diffuseurs
d'angoisse, presque à bout portant sur les teufeurs désormais orphelins de
musique, mais remplis d'un sentiment habituellement inconnu pendant la teuf
: la rage.
"Y EN A MARRE ! CETTE FOIS, ON NE VA PAS SE LAISSER FAIRE !"
Les C.R.S. sont même écartés du hangar. Ils répondent à leur frustration en
fracassant délibérément toutes les voitures garées qui se trouvent sur leur
passage. La violence appelle la violence, et tout le monde garde en soi un
fond de loi du Talion. Mais la première violence était gratuite,
fulgurante par sa surprise, qui ici selon moi rime avec lâcheté : veulerie
d'un refus de discussion qui leur aurait prouvé qu'ils étaient dans le tort
et charge impromptue jouée "fortissimo debilo" qui aurait pu causer de très
grands dommages physiques dans la bousculade qu'elle a générée. Ne vous
inquiétez pas, ils sont là pour notre sécurité ! Les scènes qui se sont
succédées alors suivent un scénario malheureusement rôdé : des teufeurs
tabassés, traînés dans chaque nouvelle retraite des monstres casqués comme
un butin de guerre, fétus de chair qu'ils pourront modeler à leur sauce
dans leur tannière sur roue à l'arrière du front, prisons nomades que les
travellers ne leur envieront jamais. Un photographe s'est rapproché en
courant. Je ne l'ai hélas pas revu. L'ont-ils pris ?
POINT DE VUE
Je suis un non-violent. J'avoue sans peine n'avoir participé à aucun jet de
pierre, ni même lancé aucune insulte, même si elles s'accumulaient dans ma
gorge nouée de dégoût. J'ouvre le débat en donnant mon opinion, simplement
la facon, discutable, dont je vois la chose : répondre par la violence à
ces générateurs ambulants de violence, c'est d'une part jouer leur jeu de
guerriers des steppes chevaleresques à 2 Francs, c'est aussi leur donner
l'occasion d'en user plus encore (la preuve...), et cette fois-ci de
manière apparemment moins gratuite pour l'opinion publique, et c'est enfin
risquer plus encore de répression aveugle pour les bouc-émissaires capturés
par les robots guerriers habillés en Actarus, mais aussi malheureusement
pour toutes les teufs futures. Mais j'avoue aussi tout aussitôt que le
bruit des pierres et des tessons de bouteilles contre les boucliers et les
casques de nos hopplites des temps modernes, mais aussi contre leur chair
moustachue m'a fait jubiler fortement sur le moment. On a tous du Talion en
soi, je le disais.
DEFAITE ANNONCEE
Finalement, le C.R.S. s'est ressaisi et a avancé plus loin et plus loin
encore, poussant vers la gare les résistants, les contemplateurs et les
fuyards, tous unis par la torture répressive qu'ils subissaient (mais
répression contre quoi ?). Cette gare, dernier bastion de résistance,
disparaissant à son tour sous la fumée des lacrymo, a vu ses installations
sabotées avant la dernière retraite. Je n'admets pas non plus que l'on
casse vitres et cabine téléphonique avant de quitter les lieux, mais je le
comprends, ô oui, je le comprends... Et puis en temps de guerre, une
retraite se doit de laisser une place inexploitable par l'ennemi
conquérant, et nous étions en guerre, en tous les cas, c'est ce que j'ai
cru comprendre.
CE QUE JE SAIS DE PLUS
Un membre des UFO au moins, resté pour ranger le matériel, est mis en garde
à vue. Les membres de Techno Plus, restés sur place pour discuter à la fin
de l'événement tragique, alors que quelques paroles échangées avant toute
aggression auraient permis tellement moins de sang (car du sang, il y en a
eu), sont invités à se rendre immédiatement au commissariat le plus proche.
On me rapporte que quelques coups ont été portés à la sono de location
(indication non vérifiée). Et puis aussi juste une injure que j'ai relevée
de la bouche de certains de nos vaillants gardiens de l'ordre moral sacré
de la patrie (poil au...), en réponse aux "fachos !" qui leur étaient
adressés : "sales arabes !" Une confirmation, sommes toutes.
POUR L'HONNEUR DE LA PATRIE
Je vomis plus que je ne déplore cet événement monstrueux, sans fondement,
cette violence volontairement amorcée sans aucun préliminaire (et je ne
parle surtout pas de sexe, c'est sale !). Chaque jour, si l'on y prend
garde, on nous apprend la haine, dans un pays qui repose sur les
magnifiques et dégoulinants "liberté, égalité, fraternité" (et je ne mets
toujours pas de majuscules, car ici, ce ne sont pas mes mots). Cette belle
devise s'évaporait dans les différentes couches de nappage lacrymogène
ornant le gâteau de la bétise, et ces fumées de la haine nous brûlaient la
gorge et les yeux comme ces mots écorchent la gueule des abrutis qui sont
censés les mettre en pratique. CHarité, CHaleur, CHoix de vie, CHance,
CHangement... Autant de valeurs inconnues par celui dont le nom commence
par un CHE vainement. Je suis pour la RESISTANCE coûte que coûte, même si
elle peut prendre différents chemins dont tous ne me convainquent pas.
HAPPY END
Plus loin dans le temps, les teufeurs déconfits se sont vus encerclés par
des gendarmes et des policiers dans toutes les gares les plus proches, dont
ils espéraient qu'elles seraient une porte désespérée vers un chez-soi bien
peu consolant. Acharnement thérapeutique ? Il faut bien soigner la jeunesse
de sa gangrène, non ?
Le contrôleur (qui ne demande son billet qu'à moi, dans un compartiment où
je suis bien sûr le seul "jeune") nous annonce que le train roule au pas
car des jeunes voyous ont saboté des installations de sécurité sur la
voie... Ah lala ! De mon temps, on les aurait corrigés sévèrement !
Dimanche soir, sur France Info, on annonce qu'une "rave a mal tourné". 11
interpellations, 4 membres des forces de l'ordre blessés, 2 "jeunes"
blessés (ouais... Parmi ceux qu'ils ont pu arrêter...). Les 2 bords se
renvoient la faute : la police annonce qu'ils "étaient venus discuter et
qu'ils se sont fait accueillir avec des pierres" (les pauvres !), et les
teufeurs parlent d'agression. L'opinion publique choisira, de toute facon,
France Info n'en parlait déjà plus lundi matin... A nous d'en parler,
maintenant !
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