LE MONDE MYSTÉRIEUX DE L'ACCORDÉON, DU BAL MUSETTE ET DES THÉS DANSANTS Chose promise, chose due. Le monde mystérieux de l'accordéon et des bals musettes Qu'est ce qui m'a pris de promettre des choses pareilles ? C'est facile de parler mais quand il faut passer à l'action... Le sujet est délicat et je ne sais quoi dire. Tous les termes mériteraient d'être traités un à un : l'accordéon, le bal musette, le bal populaire, les flonflons, le thé dansant. Aucun idée ne me vient à l'esprit. Alors pardonnez moi du manque de rigueur et de planification dans l'essai qui va suivre. Lançons-nous. Je vous soumets quelques éléments qui nous serviront d'indices afin de décrypter la question qui nous obsède. 1. Chantal Goya a chanté : "Voulez-vous danser Grand-Mèreu ? Voulez-vous danser Grand-Pèreu ? (...) comme au bon vieux temps, lorsqu' vous aviez vingt ans. Sur un air qui vous rappelle comme la vie était belle (...)". Nous retiendrons ici les mots-clés suivants : grand-mèreu - grand-pèreu - bon vieux temps - vingt ans - la vie était belle. 2. Dans le générique de la Chance aux chansons, Francis Lemarque (à vérifier!) chante "La France a raison d'aimer ses musiques, ses poèmes". Mot-clé : la France a raison. 3. Sur un album d'André Verchuren, dans une chanson dont j'ai oublié le titre, il est dit : "La java dis donc, la Java pardon, rien ne la remplacera". Mots-clés : Java - rien ne la remplacera. 4. Un jour, je me rendis à un bal musette. Il faisait froid ce jour là (et tu marchais souriante, épanouie, ruisselante sous la pluie). Que vis-je ? Pépés et mémés assis sur des chaises autour de la piste de danse, statiques. Quelques couples de danseurs. Le reste : mâchoires édentées, ragots, ennui, quelques jeunes sur leur mobilette. Mots-clés : pépés - mémés - danse - mâchoires édentées - ragots - jeunes sur leur mobilette. 5. Conversation imaginaire. "Mamie, où vas-tu ?" "je vais au thé dansant, ma chérie". Mots-clés : mamie - thé dansant. 6. Dans un débat animé par Dechavanne (Quelle référence!), une personne agée a dit "nos hommes étaient galants, pas comme les jeunes de maintenant. Il faut aller aux thés dansants pour obtenir des chevaliers servants". Mot-clé : galants - chevaliers servants. 7. Juvenal a écrit "Du pain et des jeux". Mots-clés : pain - jeux. BILAN : - grand-mèreu - grand-pèreu - bon vieux temps - vingt ans - la vie était belle - la France a raison - java - rien ne la remplacera - pépés - mémés - danse - mâchoires édentées - ragots - jeunes sur leur mobilette - mamie - thé dansant - galants - chevaliers servants - pain - jeux On a du pain sur la planche, les gars, si on veut pondre un article. Parce qu'avec ça, on n'est pas plus avancé. Pour satisfaire le bon peuple, il faut du pain et des jeux. Remarque pessimiste d'un poète stoïcien sous l'Empire romain à propos de la pratique du pouvoir consistant à pourvoir en activités - sanglantes souvent - et en aliments une population qu'il fallait à tout prix maintenir en paix pour la sauvegarde de l'ordre. Qu'est ce qui a changé depuis. Beaucoup de choses. Seulement, c'est à chacun de se débrouiller pour obtenir son pain quotidien. Et puis le spectacle continue. Je ne parle pas des opéras ni des théâtres. Non, il est question de ces fameux bals qui scandent une année et durant lesquels une population se fédèrent. Le BAL POPULAIRE. Et qui se chargent de ces bals : les sonos, les orchestres attractifs, les petits orchestres, les formations musette. Tous ces précieux et volontaires artistes n'ont qu'un objectif : divertir l'auditoire. Quand l'accordéon joue, quand c'est un groupe musette qui se produit, les jeunes se cassent. L'accordéon c'est ringard. Quand c'est un grand orchestre attractif qui se produit, avec danseuses et lumière, ça passe pour tout le monde. C'est le contribuable qui pleure. Quand c'est un DJ qui passe, c'est plus actualisé, même s'il passe des disques de musette de temps en temps. Mais les plus vieux n'y trouvent pas leur compte. Je sais, c'est crétin. Trop facile ce qui vient d'être dit. Mais remarquons une chose : tout le monde n'est jamais satisfait. Première vérité. C'est pourquoi le présent article s'intéressera aux personnes les plus agées, qu'elles soient satisfaites ou pas. Faisons un premier bilan : Pendant des années, Pascal Sevran, présentateur membre de la confrérie des séniles précoces où l'on trouve également Franck Mickaël, animait une émission de pur divertissement sur une chaîne du service public l'après-midi entre une série policière allemande et les Chiffres et les Lettres. Ah, que sont devenus ces reliquats de l'âge d'or télévisuel maintenant remplacés par des programmes plus rentables comme ceux de la télé-réalité. Disparus. De toute façon, c'est pas grave car on imagine mal Steevy ou Loana présenter La Chanse aux chansons. T'étais unique, Pascal. Mais voilà : tu est le maillon faible. Au revoir! Au programme de la Chanse aux Chansons : tous les artistes qu'on entend jamais sur SKY ROCK et sur NRJ, de l'accordéon pailleté, des fanfares militaires, des ensembles folkloriques très locaux. Les vieux ont adoré. Mais voilà : les jeunes n'ont jamais pu regarder ce type d'émission car ils étaient en cours à cette heure-ci. Du coup, cette classe d'âge n'avaient d'autres choix que ceux de regarder les programmes diffusés durant les congés scolaires : Charlie et Lulu entre autres. D'où un terrible décalage entre générations : pour les jeunes Rap, Soul et Dance ; pour les séniors musette et chansons entimentales. Car il est bien question de sentiments. Franck Mickaël n'a jamais parlé de cul, de bites et de chattes dans ses chansons. Sait-il au moins que ça existe ? Quoi qu'il en soit, des milliers de femmes un peu agées - quelques hommes sans doute - rêvent de déshabiller ce crooner (à la française) et de le violer. Pauvre Franck! Lui pour qui le mot flirt est déjà synonyme d'agression sexuelle, le voilà réduit à l'état d'objet de fantasme érotique. C'est pas tout. Pascal Sevran a dit dans une interview que ceux qui ne passaient pas chez lui étaient des mauvais. Moralité : c'est fou le nombre d'artistes mauvais qui peuplent la planète. Alors une fois j'ai regardé la Chanse aux Chansons pour savoir qui méritait vraiment le titre d'artiste talentueux. Et j'ai entendu Roger Pierre chanter "Je te fais pouet pouet, tu me fais pouet pouet, on se fait pouet pouet". LA RÉVÉLATION! Donc, si Pascal Sevran est représentant de la vraie chanson française, cela veut dire que pouet pouet relève du génie français. Ce qui nous amène à évoquer ce que nous appelerons ici la Prout Culture. Les jeunes se disputent entre hype et underground. Leurs ainés ont déjà choisi leur camp : prout! prout! Résumons. Les femmes d'autrefois aimaient les chansons du style Nous nous aimons, nous nous marierons, il m'a regardé, il a de beaux yeux, toutes les femmes sont belles. Les hommes aimaient Que coule la vinasse, viens ma belle que je t'attrape, prout prout, pouet pouet, le cassoulet c'est long à digérer. Hypocrisie ? Mauvaise foi ? Je me demande comment on a fait pour venir au monde, nous les jeunes, au vu de ces différences de goût. Et pourtant, la vieille chez Dechavanne parlait bien de chevaliers servants et d'hommes galants. C'est à se demander s'il n'y a pas un gouffre infranchissable entre les générations. La réponse, je vous la donne : la danse a réglé toutes les situations matrimoniales durant des siècles. Maintenant, il est vrai que les codifications chorégraphiques ont disparu avec les préjugés. L'ours Baloo a désormais sa place sur une piste de danse. Mais comment veux-tu faire une rencontre amoureuse durant une Rave ? C'est tout le problème. Nos ainés réglaient ceci au corps à corps. Malheur à celui qui ne savait pas danser le tango, aux bossus, aux filles qui refusaient l'invitation des garçons, aux amputés de la guerre de 14 (ceux-ci du moins pouvaient s'en sortir grâce au prestige ou une médaille militaire). Eh oui, bals, fêtes folkloriques étaient vraiment le prélude d'actes sexuels sans lesquels les jeunes ne seraient jamais nés, et sans lesquels Charlie et Lulu pointeraient au chomage ou dealeraient (du vin rouge évidemment). Venons-en au vif de sujet et répondons aux questions suivantes : - comment se déroule un bal ? - Qui joue dans les bals ? - Quelle est la place de l'accordéon dans la société post-industrielle ? - Quelle est la différence entre un bal et un thé dansant ? Là encore, je ne sais pas où ça m'emmène. Le bal a lieu souvent durant une fête votive ou patronale (ex: la Saint-Médard), une fête nationale (ex : le 14 juillet), une soirée organisée par le comité des fêtes local, ou encore organisée par une association (ex : l'Amicale des Chasseurs, l'Amicale des Chtis). Le public se divise en quatre catégories : les danseurs, les joyeux lurons, ceux qui sont venus parce qu'il y a du monde, ceux qui sont venus en sachant d'avance qu'ils se feraient chier. La soirée promet. Autour de la place : une buvette, le terrain de jeux, l'estrade de l'orchestre. Sur la piste : les danseurs. Entre la piste et la buvette : les joyeux lurons. Autour de la piste : ceux qui sont venus voir du monde et ceux qui sont venus se faire chier. Souvent, les individus passent d'une catégorie à l'autre durant la soirée. Ainsi, Dédé et Gisèle, danseurs de paso notoires, déçus par le programme rock, commencent à se faire chier. Dédé boit et se laissent entrainer par les joyeux Parlons donc de l'accordéon. Deux théories s'affrontent quant à cet instrument. L'accordéon est l'instrument qui représente la France. Oh, pas la République, ni la laïcité, ni les Droits de l'Homme. Non. C'est la France des travailleurs, celle des commerçants, des traditions, de ceux qui ont foi en la France. La France des Gaulois qui aiment le vin, les femmes, la bière, la chasse et les toreros, et la Prout Culture. La France de ceux qui regardent ce qui vient de l'étranger comme louche. La France qui aiment le Paso, la Polka, le Tango. La tradition, le folklore, le cru sont autant de symboles que l'on retrouve au bal musette. Ici, rien qui ne vienne de l'étranger. C'est la vision péjorative qu'ont la plupart des jeunes et que donnent la plupart des vieux. Autre théorie. L'accordéon, à y regarder de près, est le symbole de l'immigration et de la société industrielle. Instrument mécanique, il s'est développé depuis le XIXe siècle autour des milieux ouvriers. Ce sont les fils d'immigrés qui se sont fait un nom, en particulier les Italiens. Et puis surtout, l'accordéon a englobé dans son répertoire des musiques qui venaient de l'extérieur : le tango argentin, la polka bavaroise, le swing américain, la paso doble espagnol. Sans compter les influences, même discrètes, des musiques qui pourtant faisaient horreur à papi et mami : le blues, le jazz manouche. Pour ma part, je défends la seconde théorie. Seulement, il faut voir qu'une personne peut au cours de sa vie passer d'un esprit à un autre. Jo Privat en est l'exemple. Il a commencé sa carrière en se produisant avec des Tziganes, et fut l'un des promoteurs du swing et du jazz en France. Mais le Jo Privat vieillissant devint un gros réac, défenseur de la Vraie chanson française et détracteur des styles venant d'outre-atlantique. Comme quoi une vie est bourrée de contradictions. Ne rigolez pas. Ça peut nous arriver dans d'autres registres. Néanmoins, on constate un regain de popularité de l'accordéon chez les jeunes propagé par les acteurs de la Nouvelle Scène Française : Négresses Vertes, Blankass, Têtes Raides, ... Il y a donc de l'espoir de ce côté. En fait, c'est le monde de l'accordéon qui est coupé en deux. D'un côté, le fameux musette pailleté qui fit des reccords d'audience chez Sevran, avec de belles mélodies, ses pochettes d'album et ses décors d'un kitsch niais et abrutissant. De l'autre, des artistes qui recherchent l'innovation, le partage ou replongent dans les racines du vrai populaire. Citons, en plus des groupes cités, l'accordéoniste de jazz Richard Galliano. Bien sûr. Cette vision est peut-être trop simpliste. J'attends donc des remarques de votre part, histoire de corriger ces définitions. Il ne faut cependant pas chercher à théoriser ou à intellectualiser. La musique, le chant ne sont pas toujours, voire pas souvent, le reflet d'une quelconque idéologie. Qu'on se rassure : le morceau ça gaze! n'est pas une allusion aux camps de concentration, pas plus que la valse brune n'est un hommage à trois temps au Troisième Reich. Alors les intellos et les sémiologues, rentrez chez vous car il n'y a rien à trouver de ce côté-là. Sauf peut-être chez Dédé, alias André Verchuren, dont les titres des compositions sont évocateurs d'une certaine tendance poujadiste : Les Rois de l'arène, la Saint-Hubert. Et encore, qui nous dit qu'il ne nous fera pas un album avec Natacha Atlas le Dédé ? On a bien vu Yvette faire un morceau avec des rappeurs... Euh! Réflexion faite, on préfère quand vous animez un bal de chasseurs, Dédé et Yvette. Enchaînons sur les acteurs principaux du drame balesque : les musiciens. Qui sont ces hommes, ces femmes qui se sont portés volontaires pour affronter le monde mystérieux des soirées dansantes. Ces femmes, ces hommes sont comme vous et moi. Rien ne les distingue a priori du commun des mortels. TOUT le monde est un musicien de bal qui s'ignore. Durant, la semaine, hormis les intermittents qui répètent, ces gens se fondent dans la masse populaire. Personne ne connaît leur talent caché. Savez vous que votre camarade de bureau est trompettiste ? Le patron de cette entreprise sait il que le vétéran de sa société est le batteur d'une formation de balloche ? Non. Dès le vendredi soir, les masques tombent, les personnalités se révèlent ou se dépersonnalisent. La règle est la même que dans toute entreprise. Des personnes unies par la passion commune de produire de la musique se regroupent. C'est un orchestre ou un groupe. Les ensembles varient quantitativement et qualitativement. Le top c'est bien sûr le grand orchestre attractif (genre : chanteur(s), chanteuse(s), 4 cuivres, deux synthés, un accordéoniste, des danseuses-choristes, plus de deux techniciens), chers mais peu critiqués. Enfin, les musiciens, pur de dur, se permettent la critique en jugeant ce genre de formation trop beauf, trop kitsch. En fait, ça les blaze. Il n'ont pas tord, en y réfléchissant un peu. L'orchestre attractif c'est un peu du gaspillage humain, et puis il faut pas trop être exigeant sur les décors et les costumes avec eux. Tout n'est que question de goût. Et puis surtout, il existe les ensembles de moindre effectif. Dix membres en moyenne. (genre : un chanteur, une chanteuse, un accordéoniste, un guitariste, un bassiste, un batteur, deux techniciens, et avec de la chance un claviste et deux cuivres). Et il existe encore des formations encore plus restreinte. Mais là il y a un truc. C'est le séquenceur (sequencer). On rigole! On rigole! En attendant, avec l'économie en humains, on a plus de chances de gagner du pognon. Exemple. Un grand orchestre touche 20 000 francs - je vous laisse le soin de convertir en euros - mais est composé de 20 musiciens. Chacun part avec mille francs. Avec un ensemble réduit qui prend 5000 francs mais est composé de 4 musiciens, chacun repart dans ce cas avec 1125 francs. Même le comité des fêtes y gagne. Je sais ce que vous pensez : le grand orchestre attractif c'est quand même mieux. Eh non, pauvres naïfs que vous êtes. Tout le monde n'est jamais content, je le répète. Car s'il est une dimension importante dans le monde du bal, c'est bien le fric. Certains musiciens affirment à qui veut les entendre qu'ils font ça pour le plaisir. À d'autres qu'à nous, ce coup-là. Non. Quoi qu'il en soit, c'est l'argent qui domine. Et il s'agit bien d'un monde de requins. Le bal fait partie de ces milieux où savoir jouer ne suffit pas. C'est la loi du plus fort, du plus magouilleur, du plus rusé. Pas de face, pas de race, devrait être la devise de chaque groupe. En tout cas de chaque groupe qui entend survivre. Mais l'enjeu est de taille : QUI aura l'insigne honneur d'interprêter la Danse des canards au Poët ou à Sigoyer ? Oui, qui ? Et tous les coups sont permis pour parvenir à ses fins. Chacun pour soi. Ainsi, un groupe de balloches suit exactement le même destin qu'une formation du type rock : amitiés, amours, disputes, séparations, haines. Première conclusion à tirer : la musique reste quelque chose de passionnel, de viscéral. Comment certains font ils pour ne pas la prendre au sérieux ? La simple interprétation ne constitue en rien la marque qui fait l'artiste. Le parti pris, quoi qu'on en dise, arrive tôt ou tard. A méditer... Dernière question : la différence entre un bal et un thé dansant. Réfléchissez. Dans thé dansant, il y a les mots : thé et dansant. C'est presque la même chose qu'un bal sauf que : - ça se passe souvent l'après-midi ; - le public est plus âgé que dans les soirées cosmopolites ; - on y vient pour danser (d'où dansant) ; - on n'y boit pas d'alcool (d'où thé). On s'en tire pas mal, sur ce coup-là. Il y avait tant de choses à dire. A remettre pour la prochaine fois. Avis : il existe des sujets sur lesquels j'aimerais lire des choses. Premièrement : les joueurs d'A. D. & D., plus précisément ceux qui font du jeu de rôle et qui privilégient le lancer de dé au role playing. Ça tente quelqu'un ? Et également un sujet sur Vincent Scotto. Pourquoi pas ? Ou plutôt, pour élargir, un sujet sur la culture à Marseille qui entend se limiter à la trilogie pastis - pétanque - cabanon. Ça tente quelqu'un aussi ? A un autre jour. Ça risque d'être un peu long parce que j'écoute pas grand chose en ce moment et que c'est inutile d'écrire sur les comédies musicales (elles se ridiculisent toutes seules). A+